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CONTRATS ET CRISE DU COVID-19 : FONDEMENTS JURIDIQUES A MOBILISER

par | Mar 23, 2020 | Actualités

De par son ampleur, la crise sanitaire du virus Covid-19 impacte, directement ou indirectement, la majorité des entreprises.

Les conséquences économiques de cette crise internationale ont engendré des difficultés multiples pour les entreprises : financières, commerciales, logistiques, organisationnelles.

Pour de nombreuses entreprises, ces difficultés se sont accentuées depuis la mise en œuvre des récentes mesures gouvernementales visant à lutter contre la propagation du virus.

Ces circonstances bouleversent de facto l’exécution des contrats conclus entre les entreprises et leurs partenaires et, par voie de conséquence, l’équilibre initialement convenu lors de la conclusion des contrats.

Ce qui pose de nombreuses difficultés puisque, selon le principe de force obligatoire ou d’intangibilité du contrat, les stipulations contractuelles ont valeur de loi entre les parties et doivent ainsi être respectées.

Dans ce contexte inédit, la gestion des relations contractuelles est un enjeu majeur pour les entreprises.

Afin d’appuyer leurs prétentions ou défendre au mieux leurs intérêts à l’égard de leur cocontractant, les parties au contrat devront mobiliser le ou les fondements juridiques pertinents.

Depuis plusieurs semaines, on lit de nombreux articles selon lesquels la force majeure est l’argument massue à opposer à son cocontractant pour justifier de l’inexécution de ses obligations contractuelles, sans engager sa responsabilité (pas de pénalité, pas de dommage-intérêts, pas de résiliation fautive etc.).

Or, la force majeure n’est pas nécessairement l’argument juridique pouvant être valablement opposé à son cocontractant, et ce, pour les raisons énoncées ci-dessous :

  • définition de la force majeure en matière contractuelle : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.» (article 1218 du Code civil) ;
  • d’après la jurisprudence rendue en la matière, une épidémie n’est pas nécessairement constitutive d’un cas de forme majeure. La reconnaissance par l’Etat (déclaration de Bruno LEMAIRE le 29 février 2020) de l’épidémie comme un cas de force majeure vaut pour les marchés publics uniquement (absence d’application des pénalités de retard notamment) et n’a en aucun cas pour effet de qualifier l’épidémie de Covid-19 de cas de force majeure généralisé permettant l’inexécution des obligations stipulées dans les contrats de droit privé.
  • l’événement de force majeure doit nécessairement avoir empêché l’exécution de l’obligation contractuelle, temporairement (effet : suspension du contrat) ou définitivement (effet : résolution/résiliation du contrat.)

Or, dans la majorité des cas, l’obligation contractuelle (exemple : réaliser une prestation, fabriquer un produit, payer son cocontractant etc.) n’est pas impossible à exécuter mais plus complexe à réaliser et/ou à des conditions financières défavorables.

Ainsi, la renégociation des termes du contrat est à privilégier. Cette renégociation peut être convenue d’un commun accord entre les parties en application du principe d’exécution du contrat de bonne foi (article 1104 du Code civil) ou, le cas échéant, en application d’une clause de renégociation (autrement appelée clause de « sauvegarde » ou de « hardship »).

Lorsque l’une des parties est réticente à renégocier les termes du contrat, le fondement juridique le plus pertinent à mobiliser est l’article 1195 du Code civil relatif à la révision du contrat pour imprévision.

Cet article 1195 du Code civil (créé par la réforme du droit des contrats et applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016) dispose :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Pour que cet article 1195 du Code civil soit applicable, trois (3) conditions doivent être réunies cumulativement :

  • survenance d’un changement de circonstances qui était imprévisible lors de la conclusion du contrat : la crise du Covid-19 remplit en principe cette condition (sauf si le contrat a été conclu récemment, exemple dans les 2 derniers mois) ;
  • ce changement doit rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour l’une des parties au contrat : c’est la condition la plus délicate à démontrer ;
  • la partie concernée ne doit pas avoir accepté d’assumer ce risque : aucune clause du contrat concerné ne doit exclure les dispositions de cet article 1195 du Code civil.

Lorsque ces 3 conditions sont réunies, cela permet de contraindre l’autre partie à renégocier les termes du contrat.

(A défaut d’accord ou de refus de renégocier les termes du contrat après plusieurs tentatives infructueuses, il sera ensuite possible de saisir le juge pour demander la résiliation du contrat).

Ainsi, la révision du contrat pour imprévision (article 1195 du Code civil) est un levier utile à mobiliser pour appuyer une demande de renégociation des termes du Contrat.

De manière générale, il est essentiel d’être précautionneux afin d’éviter d’engager sa responsabilité contractuelle à l’égard de son cocontractant. Le choix du fondement juridique à mobiliser dépend de nombreux paramètres, tels que notamment l’objet du contrat, sa durée, le contexte de la collaboration, la date d’entrée en vigueur du contrat etc.

Ainsi, à titre d’exemples :

  • pour un bail commercial: la force majeure pourrait être valablement invoquée par un preneur qui souhaite suspendre le paiement des loyers, en particulier lorsque les locaux sont fermés en application des mesures gouvernementales (décrets des 14 et 16 mars 2020).
  • A contrario, pour un contrat de fabrication de produits : la renégociation des termes du contrat pour imprévision sera à privilégier.

En tout état de cause, seule une analyse précise de chaque contrat permet de s’assurer que l’argument projeté est valable juridiquement. En effet, il n’est pas rare que des clauses du contrat (y compris dans des CGV ou dans des CGA) excluent en tout ou partie, ou aménagent, les possibilités de recours, ou les effets, de la force majeure (article 1118 du Code civil) ou de la révision du contrat pour imprévision (article 1195 du Code civil).

Il est certain que les clauses précitées feront désormais l’objet d’une attention particulière. En outre, les clauses de renégociation vont probablement se généraliser.

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Frédéric Maire